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Ce blog est un pêle-mêle , d'anecdotes de voyages , de coups de gueule , de coups de coeur ...

Enfin de tout ce qui a pu me toucher et pourrait vous ouvrir une fenêtre sur mon univers .

mardi 13 juillet 2010

Itinéraire bis de Nihar, from Bangladesh

                                                                                                                              .
Je m'appelle Meherunnesa, j'ai 22 ans et je viens du Munshigonj au Bangladesh.
Je suis arrivée en France il y a 6 mois. Nihar c'est mon surnom,  ça fait rire les chinois qui comprennent "Nihao" (bonjour).

Sur mes papiers, tout est de travers, je n'ai pas de prénom car il est noté comme nom de jeune fille, et mon nom d'épouse est en fait le prénom de mon mari. A la préfecture ils n'ont rien compris.
Mon âge aussi est différent, ici j'ai deux ans de plus, mais cela date de mon mariage.

Je viens d'une famille pauvre, mon père est agriculteur, ma mère ne travaille pas, nous étions quatre enfants à vivre sur le petit salaire paternel.

Quand j'avais 16 ans, mon père a arrangé un mariage pour moi, avec un homme beaucoup plus agé qui vivait en France. Comme je n'étais pas majeure il a fallu me rajouter deux années supplémentaires pour rendre cette union possible. Je n'ai vu mon futur mari qu'en photo.

Comme c'est très compliqué d'obtenir un visa pour le Bangladesh, nous avons célébré le mariage entre les deux familles d'abord par téléphone, puis officiellement en Thaïlande, car là-bas il ne faut que quelques jours pour recevoir les visas. Mon mari nous a payé le voyage, à mon père et moi, pour pouvoir nous y rendre.

C'est un mariage intéressant. Comme nous sommes pauvres, ma belle-famille ne nous a pas demandé de dote, comme il est de coutume. Normalement mon père aurait du faire don de plusieurs grammes d'or, mais ainsi il a pu me les donner à moi.

Au Bangladesh, les mariages entre des familles de conditions sociales différentes sont très rares. On n'épouse pas quelqu'un de pauvre, mon cas est exceptionnel. Là-bas le fossé entre ceux qui sont riches et les autres est énorme, ici je trouve que l'écart  est plus faible.

Je suis venue seule pour rejoindre mon mari. Je ne connaissais personne en France.
Quand je suis arrivée, c'est un couple d'amis à mon époux qui m'a aidé dans mes premières démarches. Ce sont eux qui m'ont inscrite à l'association, la femme avait pris des cours ici.
Mais pour le reste j'ai appris par moi-même, comme prendre le métro. Mon mari travaille, il n'est pas libre la journée, je fais tout toute seule.

Je n'avais jamais imaginé vivre dans un autre pays, mais si ça avait été ailleurs je crois que j'aurais aussi aimé le Canada. Mon oncle vit là-bas avec sa femme.

Je suis très heureuse d'être en France, j'aime ma vie ici. Avant, j'étais tout le temps malade, c'est fini, je me sens bien maintenant.

Quand on me demande ce que je préfère dans cette nouvelle vie, c'est la liberté. Je suis libre. Je respire. L'égalité c'est bien aussi, mais c'est surtout la liberté qui est importante pour moi.

Mon principal regret c'est de ne pas avoir fini mes études. J'allais au lycée au Bangladesh, mais ma belle-mère m'a demandé de quitter l'école si je voulais épouser son fils.

Les relations avec ma belle-famille n'ont pas toujours été simples. Je suis musulmane, mais il existe plusieurs branches dans l'Islam; J'ai refusé d'adopter celle de ma belle-famille, même si on disait de moi que je n'étais pas une fille bien. C'est ma religion et je ne veux pas en changer.

Les musulmans ici sont différents. Nous avons la même religion mais notre culture est différente. Ma voisine est musulmane mais elle ne veut pas parler avec moi, car je suis noire. C'est difficile de rencontrer des gens. Je ne fréquente personne, à part un couple d'amis de mon mari, ce sont les seuls chez qui je vais parfois.

Il y a une chose que je n'aime pas ici. Pourquoi les gens ne se respectent pas? Tu as ta religion, j'ai la mienne, mais nous sommes des humains. Si tu dis du mal de moi, tu ne me respectes pas, c'est que je suis un animal. Et nous ne sommes pas des animaux.

Quand je sors, pour aller faire des courses, ou pour prendre le bus, je dois passer devant un bar. Ces hommes qui me voient passer savent qui je suis, ils habitent à côté et connaissent mon mari, pourtant ils me sifflent et disent des choses irrespectueuses, ça je ne le comprends pas.

Je viens à l'association pour apprendre le français. Maintenant j'ai ma carte de séjour pour dix ans mais j'ai besoin de mieux parler pour pouvoir travailler. J'aimerais bien avoir un emploi dans une crèche, mais il faut des diplômes, alors je pense d'abord être agent de caisse.

Un jour, si nous pouvons changer de ville, j'aimerais habiter à Toulouse ou à Marseille. C'est plus petit.
Ici, à Paris, la vie est très chère. Notre maison n'est pas très bien, nous avons des souris, des cafards, et surtout beaucoup de fourmis, je dois tout ranger dans des pots bien fermés, je mets la nourriture dans la chambre, c'est le seul endroit où elles ne viennent pas.

Retourner au Bangladesh? Non, ce n'est pas possible. Même pour des vacances. Peut-être en 2015.
Tu sais il faut beaucoup d'argent pour rendre visite à la famille. Il n'y a pas que le prix des billets, le problème ce sont les cadeaux. Il en faut un pour chaque membre de la famille. Nous sommes 6 dans la mienne, sans compter les cousins, et ils sont 11 dans celle de mon mari. Tu imagines? Et puis ce ne sont pas des petits cadeaux, si tu offres quelque chose qu'ils n'aiment pas et bien ce sont eux qui choisissent et tu dois leur acheter.

Je ne les reverrai pas avant longtemps. Ma petite sœur aimerait venir me voir, j'aimerais beaucoup aussi. Mais ça non plus ce n'est pas possible. C'est comme ça. Mais tu sais j'ai de la chance, c'est plus facile de vivre ici qu'au Bangladesh. Surtout que j'ai ma vie tranquille, juste avec mon mari, alors que vivre dans sa belle-famille...

Mes projets? J'essaie d'avoir un enfant, et puis après je chercherai un travail. Je suis contente.


Ce portrait a été réalisé presque exclusivement en français, à partir d'un entretien de 45 minutes et d'autres informations glanées au fil de nos discussions. Alors quand elle me dit qu'elle ne parle pas bien français, mais juste un peu, j'ai le droit de sourire. 
Le jour où elle prendra conscience de ses capacités, de belles portes pourront s'ouvrir à elle, je l'espère.
Pour une jeune femme qui parle bangla, anglais et hindi, lit l'arabe, et maitrise les bases du français en 6 mois, j'ose imaginer un autre avenir que caissière dans un supermarché de Bobigny.

Itinéraire bis, c'est à dire?

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Itinéraire bis, c'est l'idée que m'évoque les parcours atypiques de mes élèves, qui pourtant n'ont d'originalité que pour ceux qui ne sont pas migrants comme eux.

Livrer leur parcours de vie, vous laisser découvrir des bribes de ces personnes incroyables qui sont bien d'autres choses que de simples rescapés.

Bienvenue dans l'underground des immigrés.

samedi 13 mars 2010

Chroniques Bellevilloises: 4.


" Professeur, faut manger ! "

Bon, voilà que le temps file encore à toute allure. J'ai à peine écrit sur mes élèves pour les présenter que je suis déjà presque à la moitié de mon contrat.
Deux mois plus tard, que sont devenus ces petits chinois?
Retour sur deux d'entre eux.

J'ai déjà évoqué Mr Sutat, le coiffeur thaïlandais. C'est lui qui me vient à l'esprit le premier, car c'est aussi devenu mon pote depuis.
Depuis quoi? Depuis le vendredi précédent cette maudite St Valentin, mais ça c'est une anecdote que je raconterai une autre fois.

° Manee Deang Sutat, ou Jack, pour les intimes (non, non, ne riez pas).
Depuis que nous avons dîné au restaurant en compagnie de son ami, Mr Sutat m'a dans ses petits petits papiers. Il a par la suite décidé de pourvoir à mon alimentation durant les heures de travail.
Alors c'est ainsi, malgré mes protestations, tous les jours une boîte de gâteaux vient ponctuer la fin du cours.
Jamais les mêmes les gâteaux, attention! Et pas de la camelote par dessus le marché.
Ce sont gaufrettes de luxe et palets bretons qui défilent en guise de goûter, sous l'oeil affamé et bouillant de jalousie de mes collègues (non, là j'exagère, en plus je partage, voyez comme je suis sympa comme nana..héhé).
Sans oublier l'invitation dominicale au resto, que je refuse poliment toutes les semaines, faut pas abuser non plus... Est-ce que j'ai dévoré comme une morfale sous-alimentée la première fois ou quoi?
Adorable Mr Sutat, si tous les autres en faisaient autant je deviendrais vite obèse à ce rythme.

° Mlle Xiaofang. Non, pardon, Mâdame Huang Xiaofang.
Le titre de Mme sur cette adolescente incurable ne m'est toujours pas familier, aux autres non plus il semblerait, puisqu'ils en rigolent en corrigeant de "Petite Madame".
Xiaofang, ("Petite Maison") ma demoiselle de compagnie.
C'est la seule qui m'appelle par mon prénom, et me tutoie (quand elle y arrive). Je me suis teriblement attachée à elle.
Sa solitude me peine, sous ses airs de nunuche qui glousse elle est touchante malgré tout. Elle reste du matin jusqu'au soir à l'école, non par plaisir d'étudier (même si elle ne déteste pas ça) mais parcequ'elle n'a pas vraiment le choix. Elle ne peut pas rentrer chez elle la journée, car les relations avec son beau-frère et sa belle-soeur (avec qui elle habite) sont exécrables, d'autant plus depuis qu'elle travaille comme serveuse dans leur restaurant..bonjour l'ambiance!
Du haut de ses 22 ans la jeune femme est bien seule.

Je la trouve moins irritante, et la charrie sans vergogne sur son habitude de confondre les [p] et les [b].
Je lui barle doujours gomme si j'édais enrhubée, ce qui a le mérite de la faire se corriger la fois suivante (dès qu'elle a fini de glousser bien sur).

Mardi soir, minuit, je suis bien au chaud à papoter dans le lit de Coline.
Texto inconnu: " Chloé. c'est moi. Mme Huang Xiaofang. tout les jour je ne vais pas à l'école. parce que je travaille tous les jours le matin 9 heures. "
Puis second message après ma réponse amusée: " A jeudi ce soir je viens. "

Grand fou-rire, où est-ce qu'elle a récupéré mon numéro? Sacrée elle! Elle me poursuit même la nuit...

Je sais qu'elle ne recherche qu'un peu d'attention pour tromper son isolement, et je fais de mon mieux pour lui accorder un peu de mon temps libre, mais elle n'en a jamais assez.

_ " Chloé, tu pars déjà? "
_ " Euh.. oui, là il est un peu 20h et normalement je termine à 17... j'ai une vie aussi quand je suis pas prof. "
_ " Ah bon. Mais à demain matin alors! "
_ " C'est ça. " 
Dans la joie et la bonne humeur.


dimanche 14 février 2010

Dimanche poétique # 2 : Caminho difîcil


Il n'est pas dit que tous mes dimanches poétiques seront en portugais, il se trouve que l'humeur dominicale me porte souvent du côté de la littérature brésilienne, avec son rythme indolent, ses rimes qui rebondissent dans le silence.

 
Vim pelo caminho difîcil,
A linha que nunca termina,
A linha que bate na pedra,
A palavra quebra uma esquina,
Minima linha vazia,
A linha, uma vida inteira,
Palavra, palavra minha.

Paulo Leminski

dimanche 7 février 2010

Dimanche poétique # 1 : Longe de tudo


Mon premier dimanche en poésie je l'accorde à mon ami et même plus, Paulo, inconnu des Grandes Lettres, mais poète moderne, dont les mots sonnent si juste à mon oreille.
Je ne connais pas le titre, et le texte est probablement incomplet, mais je ne désespère pas de posséder un jour l'intégralité de son oeuvre.
Il ne vous manquera que sa voix et c'est déjà énorme. La traduction sera en commentaire du post.





Todos os dias tento encontrar o meu caminho
mas eu so sei cantar e quebrar corações
eu ja perdi a noção de quantos sonhos ficaram pra tras
tanto faz
o que eu preciso esta aqui dentro de mim
longe de tudo...

Pow

jeudi 4 février 2010

Chroniques Bellevilloises: 3.


" Blagues du jour "

Les élèves nous surprennent toujours, ils sont là où on ne les attend pas.
Quelques exemples de ces petites merveilles qui nous tirent des fous-rire à chaque fois:

Ce matin on fait le point sur le vocabulaire de la leçon précédente, je leur demande d'expliquer certains termes assez simples et je vois qu'ils n'ont pas vraiment imprimé.
J'en arrive à :
- "aider" c'est quoi?
et hop! du tact au tac, Mr Lin qui répond:
- "aider c'est coup de main!".
Bah voilà, je ne l'aurais pas mieux dit, remballe ton explication, ils ont un train d'avance ma grande.

13h 45, on fait l'inventaire du vocabulaire de la cuisine. La différence entre une poêle et une casserole ça saute pas aux yeux, nous v'là partis à les départager par ce qu'on fait cuire dedans. Ils commencent alors l'énumération des types de viande qu'ils connaissent:
- poulet, boeuf, canard, cochon, TOMATES...
Ah non, raté ce coup-ci Madame...

Dans la classe de 15h on fait aussi de l'alphabétisation, (ils apprennent à lire et à écrire).
Aujourd'hui on leur demande des mots dans lesquels on entend certains sons.
- [da]  réponses: madame, d'accord, "DARTY!" ...
- [do]  réponses: dormir, cadeau,  " rapido!"
(le rapido c'est le mini loto auquel on joue dans les bars...il n'y a donc que les messieurs qui ont pu en rire...)

- [de] : ... gros silence, on leur souffle "dehors", personne comprend, on explique, et une des dames s'excite sur sa chaise, elle a compris, elle regarde ses collègues et leur dit:
-  c'est comme "dégage! dégage! ", gestes à l'appui ....
et...oui, ma foi c'est bien une des explications, dès que le fou rire s'arrête on vous promet de mieux s'expliquer.

Voilà, demain j'ai encore toute une série de ce type à présenter, avec les [t] cette fois, on l'a préparée avec Jérôme, et c'est pas du gâteau.
Déjà, le problème lors de la phase de préparation de la liste, c'est qu'il n'y a que les mots à la con qui nous viennent à l'esprit (essayez 2 secondes avec le son [tain] et vous verrez tout de suite ce que je veux dire...), et puis après il faut pas oublier que l'on va devoir expliquer chacun de ces mots, les dessiner ou les mimer parfois...
Alors je m'entraîne, ce soir j'ai appris à faire le croquis d'un marteau (j'avais déjà échoué lors du cours sur le bricolage, alors pas question de se coller la honte deux fois)...

Amis lecteurs, bien le bonsoir.

mardi 26 janvier 2010

Chroniques Bellevilloises: 2.


" Vous voulez du zus? " suite et fin

Le groupe de 10h45 est complètement à l'opposé de la classe que j'ai pu décrire il y a quelques jours.
C'est un cas exceptionnel dans l'asso. Ce sont les rares personnes qui continuent de venir après avoir obtenu le dîplome du DILF. Ils cherchent vraiment à s'intégrer à la population française en apprenant à communiquer, c'est pourquoi ils sont très participatifs. La dynamique avec cette classe est unique.

Mr Lin (prénom Dinzeng, ou quelque chose comme ça, Lin est le deuxième nom le plus répandu avec Chen):
Il bégaye beaucoup, parle TRES fort et en même temps que tout le monde, il ne peut pas s'empêcher de blablater ou de lire à haute voix. Parler c'est plus fort que lui. Il répond toujours, même n'importe quoi.
Il adore plaisanter, c'est un moulin à blagues et à jeux de mots formés à partir de ce que je dis.
Il finit souvent par embrouiller les autres à force de raconter des conneries, ça fait rire toute la classe, moi la première.

Mr Chen:
C'est un peu mon chouchou (il y en a toujours un, c'est comme ça on n'y peut rien). Il est très beau, très délicat, très timide. C'est le plus doué de la classe. Jamais un mot plus haut que les autres.
Il stresse quand il prend la parole parcequ'il déteste intervenir sans être sûr de ne pas se tromper.
Alors il a un tic de langage, il produit une sorte de claquement avec sa bouche, comme un bruit de succion, difficile à décrire comme ça. Enfin toujours est-il que plus le stress est fort plus le nombre de tics augmente, et il devient vite incompréhensible.
 Mr Chen c'est la raideur même, surtout quand il marche, les bras bien serrés le long de son corps.
C'est aussi le petit préféré d'un autre élève, le plus rigolo de tous: Mr Soutat.

Mr Soutat:
Taïlandais qui doit approcher la quarantaine d'années, il détonne complètement dans le décor. Coiffure stylée, lissée à droite, en brosse à gauche, grosses bagouses aux doigts, sac à main de donzelle.
Très tactile, très homo Mr Soutat. Mais avant tout très gentil.
Il est coiffeur esthéticien (ça se dit?).
C'est un ancien élève de l'asso qui était parti à cause des réflexions que lui faisaient les chinois, qui acceptaient mal son excentricité.
Aujourd'hui il est bien intégré à la classe, les autres s'en foutent royalement.
Sauf qu'il est toujours collé à Mr Chen, quand ses collègues observent systématiquement une distance respective entre eux.
Toutes les occasions sont propices au contact physique, je dis bonjour et je te tapote le flanc, je lis ce que tu viens d'écrire en te pressant le bras, j'attrape un stylo et hop je suis penché contre toi...
Mais Mr Chen reste stoïque, il ne moufte pas ni ne s'agace.

Le duo d'inséparables, Mr Du et Mr Chen (l'autre Mr Chen), je ne les ai pas encore bien cernés, ils sont plus discrets. J'aime bien embêter Mr Du en l'envoyant au tableau, comme il a des petits soucis avec l'écriture à chaque fois il râle de bon coeur mais s'accomplit en rigolant de sa nullité.

Il y a deux femmes également, dont une jeune demoiselle (bien que mariée) qu'on pourrait présenter à juste titre comme: "la fouteuse de merde". D'ailleurs mon collègue Gérôme ne l'accepte plus dans ses cours...

Ainsi nommée, Shaofang:
C'est la plus jeune de mes élèves, à peine la vingtaine je pense.
Attitude d'ado niaiseuse, glousseuse à temps plein. Sans arrêt la bouche ouverte sauf quand il s'agit de répondre à la question que je lui pose. Sa tête disparait alors dans le col de son pull, à l'abri duquel elle ricane dans un faux accès de timidité.
Elle prend beaucoup de place car il faut qu'elle soit au centre de toutes les attentions.
Comme elle déteste ne pas être la meilleure, il lui faudrait dans l'idéal, un prof particulier et un harem d'ignorants prêts à admirer benoitement sa supériorité intellectuelle, car évidemment elle est très douée.
Si Gérôme ne l'avait pas éjectée de son groupe, elle serait restée 2 ans de plus à briller sans complexe parmi les grands-débutants.
Heureusement elle a trouvé plus grande-gueule qu'elle, et les élans de Mr Lin ont vite fait de la reléguer au second plan du point de vue des décibels... héhéhé.
Sa soeur, ou celle de son mari, quelque chose dans le genre, travaille dans l'asso, autant dire que désormais c'est son territoire, et elle fait comme chez elle. D'ailleurs elle est dans nos pattes à toute heure de la journée, se mêlant de tout, ricanant sans cesse.
Je n'ai rien contre elle, elle m'amuse plus qu'elle ne m'agace, mais elle finit par me fatiguer à jouer les midinettes. Gentille et saoûlante la demoiselle Shaofang.

Bientôt j'aurai une classe supplémentaire, je n'ai pas encore décidé laquelle, pour le moment j'observe avant de faire mon choix.

Et voili voilou, vous savez un peu maintenant à qui j'ai affaire de bon matin.
Ce que je peux vous assurer c'est que je pars de bonne humeur au boulot (et pourtant le réveil est tous les jours aussi dur) et que je termine invariablement ma journée épuisée, et le sourire aux lèvres.

samedi 23 janvier 2010

Chroniques Bellevilloises: 2.


" Vous voulez du zus? " première partie

Je cottoie depuis trois semaines maintenant la communauté chinoise parisienne, et je voulais brosser un petit portrait de ces élèves qui participent à la couleur de mon quotidien.
L'asso où je bosse travaille principalement avec des chinois, mais avec un public asiatique au sens plus large, et le quartier, à mi-chemin entre Belleville et Ménilmontant, est le fief depuis le XXème siècle de la diaspora chinoise.
Quartier populaire depuis toujours, il a d'abord connu le débarquement des ouvriers maghrebins avant d'être suivi rapidement par des vagues d'émigrés en provenance de Chine.
Le canard laqué a pris le relais des merguez, la plupart des commerces sont tenus par des asiatiques, seuls les cafés et quelques librairies restent le domaine des nord-africains.
Je vous passe l'historique, voilà le dessin actuel.



Je tiens pour le moment 2 classes.
Le groupe de 9h est instable encore, on ne sait jamais qui sera là. Alors au lieu d'être 7 au grand complet, on n'est jamais plus de 3 (4 avec moi). Ils alternent, ça me facilite pas le boulot croyez-moi.

Mme Chen (Xiuli de son prénom, s'appeler Chen c'est comme s'appeler Durand):
C'est la plus ancienne, 36 ans, mère au foyer avec deux enfants, en France depuis déjà 10 ans. C'est une petite dame rigolote, discrète et de bonne humeur.
Quand je vérifie si elle a bien compris, elle me fait sa réponse type, systématique.
_ " C'est bon Mme Chen? "
_ " Oui, c'est bon, c'est bon. Mais demain c'est pas bon, c'est oublié, tout mélanzé. " Et elle se marre, moi aussi.

Mme Tserenbaljir Myagmarsuren (imprononçable, je m'entraîne encore):
Je ne sais même pas quel est le prénom ou le nom, on va dire Mme Tse. 35 ans, pharmacienne,originaire d'Oulan Bator (Mongolie), mariée à un français, elle a beaucoup voyagé en Europe, habité aux Pays Bas avant d'atterir en France. C'est une belle femme, très studieuse, très calme et surtout timide. Elle ne parle que lorsqu'elle est sure de la réponse, sinon elle ne décolle pas le nez de son cahier de peur que je m'adresse à elle, ce qui arrive inévitablement assez souvent vu l'effectif du groupe et m'oblige à me planter devant elle en répétant "Madame, madame s'il vous plait" si je veux obtenir un son.

(la suite plus tard)

mercredi 13 janvier 2010

Chroniques Bellevilloises: 1.


Lendemain d'une première nuit



Je triche un peu, ça m'est égal. Belleville sonne plus doux à mon imaginaire que ce sacré Voltaire.

Comment se faire accepter d'un lieu?
Comment le pénétrer sans se faire rejeter, écarter le sentiment d'être un intrus pour mieux l'apprivoiser?

Se faire à manger.
Surtout pas d'étalage d'affaires, quelle intrusion violente, ce serait un manque de tact.

Ce n'est pas une appropriation du territoire. Au lieu de celà on se montre conciliant, prêt à y accomplir ses besoins primaires, manger, dormir.

Première sensation de volupté, le moelleux sans fond du grand lit.

Et petit à petit ma présence en ce lieu prend son sens. Je me sens déjà chez moi.